[Background] Luuse

Luuse s'arracha à la contemplation du corps pour sourire faiblement à Verdrey. Comme la ressemblance était troublante ! elle ressentait confusément une peine profonde pour Heymiriel, le semi elfe qui l'avait tant amusée, mais son visage meurtri, son bandeau lui évoquaient un image plus troublante. Elle ne voulait pas voir Yraël étendu de la même façon, inerte.

Elle serra Verdrey dans ses bras et avec un léger sanglot dans la voix, elle murmura "Je ne savais pas quoi faire...je n'ai pas le droit de l'enterrer, ce n'est pas mon rôle...il restera hors du temps jusqu'à ce que son frère vienne le chercher...si tu es d'accord..."

Les reflets du pâle soleil de Shattrath accentuaient les couleurs satinées de la pomme. Luuse admira un moment le mariage élégant du rouge et de l'or qui rendait les arbres comme décorés par l'automne lorsqu'ils étaient tous chargés de fruits, au manoir d'été de la famille Saen'thalas. La pomme pesait lourd dans sa main, malgré sa petitesse, et Luuse savait par avance le goût qu'elle y trouverait, acidulé et rafraichissant, le goût de son enfance.

Finlas, en lui caressant les cheveux, contemplait le fruit également, en silence, puis il murmura "Ca t'a vraiment fait mal, ce qu'il t'a dit ? Tu es bien silencieuse depuis que nous sommes ici...Et cette pomme..."

Luuse hocha la tête et la posa contre le torse de Finlas, le front blottit contre le cou de son amant. "Pour lui je n'ai été qu'un reflet de son passé, un sosie...une copie troublante, en qui il a cru voir la femme qu'il a aimée...bien sûr, que ça fait mal...c'est dur de s'apercevoir qu'on a joué avec toi..."

Un moment, elle continua à jouer avec la pomme en silence alors que Finlas lui caressait le bras en fredonnant une chanson d'enfance.
"Cette pomme...je me demande bien comment il s'y est prit, les arbres de notre enfance sont morts...
-Ils ont repoussé depuis...mais tu n'as plus voulu aller voir."

Luuse frotta son front contre le menton de Finlas et murmura "Il a dit qu'elle me ferait l'oublier..."

Finlas regarda de nouveau la pomme en silence, l'air légèrement plus alerte, mais ne dit mot. Il regarda Luuse approcher la pomme de ses lèvres tremblantes, et lui attrappa la main doucement . "Tu es bien sûre de ce que tu veux faire ?"
Sans répondre, Luuse arracha sa main de l'étreinte de Finlas et croqua un morceau, qu'elle avala avec difficulté, la gorge gonflée par la tristesse. Elle mit plusieurs minutes à finir la pomme, chaque bouchée devenant plus difficile à mesure que les larmes montaient. Enfin, elle jeta le trognon au jugé en contrebas de la terrasse des Clairvoyants et entendit avec un sourire satisfait le bruit retentissant d'une pomme qui heurte un casque à pleine vitesse. Finlas sourit : "Tu l'as eu, pour une fois."

Luuse se laissa totalement retomber contre Finlas et ferma les yeux, alors que le mage fredonnait de nouveau doucement sa chanson et l'entourait de ses bras pour la réchauffer à mesure qu'elle s'endormait. Les souvenirs défilaient devant ses yeux clos, disparaissant dans un goût acidulé.

Le journal, les lettres...le regard de Luuse passa d'objet en objet, et elle se pinca la racine du nez avec une expression de profonde lassitude.

Elle avait lu le journal avec curiosité. L'écriture lui était inconnue, ainsi que la personne qui semblait en être l'auteur, et pourtant Luuse y était citée à plusieurs reprises. Les deux lettres qui étaient posées à côté du journal, Luuse les avait lues avec surprise, elles lui dévoilaient un autre monde, celui où une personne visiblement l'avait aimée, une autre personne que Finlas. Mais elle n'en avait aucun souvenir.

Avec inquiétude, elle regarda par la fenêtre de sa chambre. De là, on pouvait apercevoir les toits du bâtiment où le Naaru était enfermé. La perte de mémoire était elle un signe de la déchéance des déshérités?

Yraël, tel était le nom signé sur les lettres. Yraëlis, le nom fièrement proclamé dans les dernières pages du journal. Luuse repensa à Heimyriel, et secoua la tête. Les évènements s'entrecroisaient dans sa tête, mais il manquait un détail...un détail très important qui les reliait tous.

Verdrey avait parut surprise de la question de Luuse, lorsque celle ci avait vu passer un jeune elfe armé dans le manoir. Pourtant, elle s'était vite reprit, et avait dit que ce n'était que le nouvel intriguant revenu de Northrend. Luuse sourit, amusée. Un nouveau fauteur de troubles arrive, et comme par hasard, il est Drathir...Ashtarann avait décidément l'air d'aimer voir sa réputation plombée par ses fréquentations...

Luuse regarda de nouveau le journal et les lettres, intriguée. Etait il possible que cet elfe l'ait courtisée, sans qu'elle s'en souvienne ? les dates n'étaient pas claires, peut être que ça remontait au début de la reconstruction de Lune d'Argent, à l'époque ou les bals étaient courants et que la noblesse se regroupait de nouveau autour de la bannière elfique...Elle regroupa le tout dans ses bras menus, et trotina avec peine jusqu'au feu où elle jeta les lettres. Elle ne put achever son geste lorsque ce fut le tour du journal, et un souvenir déborda de son esprit, la frappant de plein fouet. Une voix froide comme la mort.

"Vous voyez, cette image ? Ne dirait on pas votre chère Luuse ? Hey bien non, c'est mon épouse, et je vais la retrouver. Nous vous inviterons à notre remariage."

Luuse tomba à genoux, les larmes aux yeux, et resta longtemps prostrée, puis finit par se relever en essuyant ses joues, fronçant les sourcils pour essayer de se souvenir ce qui avait bien pu la mettre dans cet état.

En se relevant, elle oublia le journal tombé sur le plancher, et se détourna vers ses gemmes. On verrait plus tard qui pouvait bien être cet Yraëlis. S'il se remettait à lui écrire, il apprendrait à ses dépends qu'on ne courtise pas facilement la compagne d'un mage feu.

Pantelante, Luuse s'appuya contre le mur de son cabinet de toilette, livide, en fermant les yeux et en luttant pour forcer ses jambes à la tenir debout. Les nausées étaient de plus en plus violentes, au point qu'elle n'osait plus s'éloigner de la bassine de fine porcelaine dont les sorts de nettoyage automatique étaient mis à rude épreuve.

Après quelques minutes de calme relatif, elle jugea qu'elle pouvait enfin se permettre de retourner dans sa chambre, et, les bras croisés, les mains appuyées sur son ventre avec une grimace de douleur, elle sortit d'un pas chancelant pour rejoindre le fauteuil confortable qu'elle avait placé près de la fenêtre d'où elle pouvait observer la rue.

Le trafic dans la grande rue s'était nettement intensifié depuis que Lune d'Argent avait été complètement restaurée, et de nombreux visages anonymes défilèrent devant les yeux de l'elfe, alors qu'elle regardait le passage de ses compatriotes sans vraiment les voir, toute à sa douleur, et à sa honte de se voir infliger une maladie si bénigne, et pourtant si douloureuse, alors qu'elle avait résisté à bien pire, dans les Outreterres.

Soudain, son regard accrocha un visage délicat au milieu de la foule des passants, et elle plissa les yeux. Cette elfe, elle lui avait touché la joue dans la taverne...au procès, elle était là aussi, Tomoyo l'avait suivie de près, et Luuse avait surpris une conversation musclée entre les deux...Elle avait effleuré Tomoyo de la même façon cette fois là...

Avec un gémissement de douleur, Luuse porta une main à son front alors que son esprit se brouillait, et elle se recroquevilla en boule, les mains serrées sur son ventre pour atténuer la douleur.

[hrp] Ce soir et pour une durée que je ne connais pas encore, Luuse sera désormais confinée dans sa chambre, si vous la voyez, considérez que c'est hrp [/hrp]

Luuse s'assit avec un léger soupir d'effort sur le rebord de la terrasse des Clairvoyants et laissa pendouiller ses jambes dans le vide, l'air rêveur.

Pour la première fois depuis quasiment toujours elle se sentait...oui...seule, le mot était seule...En s'étendant sur le sol, elle revit la scène dans la taverne se dérouler derrière ses yeux clos. Sur les genoux de Finlas, elle qui parle du baiser volé par Yraël d'un air négligent...elle avait surestimé son pouvoir sur Finlas, il n'avait pas pu lui pardonner, elle ne pouvait pas lui en vouloir.

En ouvrant les yeux, elle vit défiler les nuages épais qui s'amoncelaient continuellement au dessus de la forêt de Terokkar, et se redressa doucement pour se trouver de nouveau en position assise, puis dénicha son communicateur gobelin dans sa poche et y chercha la fréquence de Finlas. Qu'au moins, s'ils ne pouvaient plus être un couple, ils puissent rester amis et cousins.

(Bon, texte et raison rp bancals, on fera avec. On sépare le couple pour des raisons hrp, on sait pas encore si ça sera définitif)

Il se tient face à moi, le fils, le bâtard d'Yraël. C'est sans honte que je le dévisage ouvertement, une expression de réprobation à peine voilée sur le visage. Il ne me renvoie qu'un sourire doux, et pourtant inquiétant et sauvage, et les battements de mon coeur reprennent un rythme normal. Non, il ne lui ressemble pas, son père n'a jamais eu ce visage haineux et plein de ressentiment.

Toujours en arborant son sourire presque provocant, il tend la main et me demande la bague. Je sens une grimace passer sur mon visage et me maudit intérieurement de laisser transparaitre le moindre sentiment devant ce demi-singe, tout en farfouillant dans ma poche pour en sortir le médaillon enveloppé avec soin dans un carré de soie. Au terme d'une courte guerre psychologique, il fini par me convaincre de garder le médaillon alors que mon seul désir était de lui donner le tout et d'enfin me débarasser de ce sentiment de culpabilité qui me ronge depuis la mort d'Yraël.

Avec le reste de morgue dont je me sens capable, alors qu'il enfile la bague à son doigt, je fais remarquer que le temps est bien étrange pour ce genre de discussions. Pour la première fois, son sourire devient vrai, et il me répond que c'est important pour lui...Décidément, sa seule présence m'insupporte, et je me dirige vers le calme des vagues de la plage, où Finlas ne tarde pas à me rejoindre.

Je n'arrive même pas à lever les yeux sur lui, et c'est d'une voix un peu hargneuse que je lui réponds que tout va bien, alors que le cri de ralliement d'Yraël, lancé par Yraëlis, me noue les tripes.

L'heure n'est plus aux souvenirs mais aux combats.

Le but paraissait si simple, lorsque le vénérable Dïom me l'exposa...les Saen assureraient l'escorte d'un groupe de Kel'thalas à travers Auberdine pour prendre le bateau en direction de l'île de l'Exodar. Bien, sûr, nous espérions que seules les quelques sentinelles présentes poseraient problèmes, nous préparant à les retenir le temps qu'il faudrait pour que tous soient passés. Mais un seul regard en direction de Finlas me fait comprendre que ça ne sera pas si simple.

Je pénètre d'un pas lent dans Auberdine, espérant faire comprendre aux sous races présentes nos intentions pacifiques. Finlas se tient de nouveau à mes côtés après plusieurs semaines de séparation douloureuse, et malgré les circonstances, je commence à ressentir l'ivresse et la jouissance de la bataille qui s'annonce, alors que la lueur de ses mains qui rougeoient de feu contenu empli ma vision comme dans un rêve.

La sentinelle devant moi n'a pas le temps d'esquisser un mouvement que je la vois se tortiller dans les flammes et se débattre dans un hurlement atroce. A ma droite, je sens que Finlas est de nouveau en train d'enrouler la magie pour lancer les enfers. Les reflexes prennent le dessus.

Bouclier, lumière, inspiration. Autour de nous ne restent bientôt qu'un tas de cendres et de chairs fumantes, et c'est avec une horreur mêlée de fascination que je regarde le Kal'dorei calciné que j'allais demander à Finlas d'épargner avant qu'une corolle de flammes n'étouffe le son de ma voix. Derrière moi, j'entend le cliquetis léger des armes de Miramaya qui rassemble ses os, attentive. Un jeune Kal'dorei est tombé, beaucoup trop jeune. Désormais nous savons que la bataille sera rude et que ses frères viendront.

Près de moi, Finlas frémit d'une excitation de drogué alors que de partout, ils déboulent pour défendre leur cité. Parmis eux, j'en reconnais certains, et un reste de raison me revient. Sheïra ! Peut être qu'il sera possible de s'entendre avec elle, et de négocier un passage avec un minimum de dommages. Encore une fois, Finlas me prend de cours et lève les mains au ciel. Ses yeux brillent d'un éclat rouge vif, et une immense vague de chaleur me coupe le souffle, en même temps que la panique monte.
En luttant contre la phobie des flammes qui déferle dans mon esprit, je m'efforce de maintenir Finlas en vie, mais même les reflexes ne sont plus suffisants, et c'est pantelants que nous nous retrouvons lui et moi dans la forêt plus loin pour compter ce qui nous reste comme ressources.

"Miramaya, où est elle ?
-Je crois qu'elle est en train de faire un carnage, je me demande encore si on a bien fait de l'amener ou non.
-Et les hommes d'Yraëlis ils sont passés ? Inutile de maintenir la bataille plus de temps qu'il n'en faudra pour détourner les regards de leur passage.
-J'en ai compté trois, mais je n'ai pas vu le bâtard...il a dû être retardé...
-La peste soit des demi-singes..."

Je me relève en gémissant de douleur, appuyée sur mon bâton, et je lance un regard à Finlas, le premier de la soirée que j'arrive à vraiment poser sur lui. Avec peine, je réprime le reflexe qui me pousse à aller le soutenir, comme jadis quand il avait épuisé trop de magie et que je restais son seul soutient. Il a choisi sa propre voie, une dans laquelle je n'ai pas de place.

En rassemblant notre dignité, nous repartons en direction d'Auberdine où les rangs des défenseurs sont clairsemés. Sans doute ont ils cru que nous avions fuit. D'autres gisent sur le sol, et Miramaya apparait devant nous en finissant de mâchonner un tibia qu'elle jette pour se curer les dents avec une de ses longues griffes. Elle annonce fièrement son score, et je réprime une certaine envie de lui tapoter la tête comme à un bon animal. Mais après tout, qu'est elle de plus?

De nouveaux elfes, pas encore au courant du carnage s'approchent de la ville, et nous regardent avec crainte quand ils comprennent que nous sommes à l'origine des cadavres à moitié dévorés qui encombrent le sol de la place. Je lance un rapide coup d'oeil à Finlas et pousse un léger soupir de soulagement. Ceux là sont du menu fretin et n'excitent pas sa combativité. Ne reste plus qu'à rejoindre le bâteau et continuer à protéger notre groupe. Alors que nous nous engageons sur le ponton désert, Yraëlis apparait à la porte de l'Auberge, et c'est avec satisfaction que je vois notre mission toucher à sa fin. Un rapide ménage aux flammes dans l'auberge nettoie le peu de Kal'dorei valables restés pour nous repousser, et nous courons à perdre haleine vers le bateau qui rallie l'Exodar et Auberdine, où l'équipage, qui a observé la bataille de loin, ne moufte pas.

L'immense rocher emplissait tout leur champ de vision, alors que Khazel et Luuse levaient les yeux sur son sommet pour en distinguer les bords qui se découpaient sur les trainées mauves du ciel de Nagrand.

En baissant les yeux, Luuse fit une légère grimace, distinguant les cristaux illuminant la pénombre du tunnel qui semblait mener au coeur de la colline d'albâtre. En rassemblant les rênes de son raptor entre ses doigts pour se donner une contenance, elle lança un regard à Khazel, visiblement absorbé par l'étude de l'entrée de la grotte.

« Vous n'aviez pas des nains à voir ?
-Ils attendront, pour l'instant j'ai envie d'entrer là dedans. Vous venez? »

Sans un mot de plus, il se laissa tomber au bas de son faucon-pèlerin et se dirigea vers la grotte, bientôt suivi de Luuse qui n'avait aucune envie de rester seule au milieu d'une zone grouillant de marcheurs du vide et d'éthériens belliqueux.

A l'intérieur, le spectacle des cristaux accrochant et reflétant les derniers rayons de la lune était réellement splendide, et Luuse sentit presque le sourire de Khazel dans ses paroles :
« C'est magnifique non?
-C'est froid... , répondit-elle en se frictionnant les bras
-Bah, je vous réchaufferai... »

Luuse sourit légèrement à l'idée de voir Khazel la réchauffer d'un sort et s'efforça de s'armer mentalement contre le froid. Elle n'avait vraiment aucune idée de le voir essayer.

Leurs pas se firent léger alors qu'ils parcouraient des yeux le spectacle enchanteur des gemmes transparentes, aussi pures semblait-il que des diamants, et c'est en étouffant une exclamation d'horreur que Luuse fit un pas pour revenir dans l'ombre lorsqu'au détour du tunnel, elle aperçu la pointe d'une aile de cuir vert.

Khazel plissa les yeux et marmonna un « Charmantes créatures, ici, également... » avant de lancer une boule de feu qui fit littéralement fondre le démon sur place. Pour échapper à l'horrible spectacle, Luuse leva les yeux et ses lèvres s'arrondirent en un « o » de surprise quand elle vit l'architecture régulière et colorée d'une porte d'entrée grand ouverte. Sans plus se préoccuper du cadavre, elle s'avança pour examiner l'arche puis se retourna vers Khazel, occupé à s'assurer que toute vie avait quitté sa cible.

« Ca a l'air d'un bâtiment Draenei, vous voulez aller voir plus loin? », demanda t'elle avec un vague ton d'avertissement. Khazel avait depuis longtemps passé l'heure à laquelle il avait dit vouloir se coucher.

En se frottant les mains, et sans aucunement faire attention à l'avertissement dans la voix de sa partenaire, il se releva puis répondit par l'affirmative tout en passant devant Luuse pour prendre la tête de la marche.

Les couloirs semblaient plus ou moins déserts, en dehors parfois d'un autre démon ailé dont le couple ne faisait qu'une bouchée avant de continuer son chemin. Au détour d'un couloir, cependant, rendus moins méfiants par l'apparente tranquillité des lieux, ils pénétrèrent dans une petite salle sans prendre de précautions, et ce fut quatre orcs inquiétants qu'ils eurent à éliminer avant de reprendre leur souffle et de voir où ils étaient tombés.

Khazel pointa un doigt sur l'étrange machine qui trônait au centre.
« Regardez en haut. »

Luuse leva les yeux et frémit d'indignation en voyant flotter à quelques mètres les esprits des orcs qu'elle avait vu parcourir les terres de Nagrand lors de ses nombreux voyages dans la région. Sa voix était altérée par un début de colère quand elle demanda:
« Que font ils avec ces âmes ? Qu'est ce que c'est que cette machine ?!
-Je n'en sais rien, il aurait fallu attendre avant de les tuer, les observer...nous ne le saurons probablement jamais... »

D'un geste agacé, Luuse balaya la réponse, et s'avança vers la sortie de la salle pour continuer la visite. « Je veux savoir, nous trouverons bien autre chose pour nous renseigner en route! »

Le couloir, de nouveau, semblaient desert. En arrivant au bout, Luuse eu cette fois le reflexe de se cacher derrière un mur pour glisser un oeil vers ce que contenait la salle suivante, et c'est avec un visage atterré qu'elle sortit peu à peu de sa cachette pour se planter devant l'entrée, l'air stupide. La démone et les orcs à l'intérieur ne lui prêtaient de toutes façons aucune attention, et elle resta là jusqu'à ce que Khazel s'approche et chuchotte « Luuse ? Vous vous sentez bien? Oh... »

Le mage lui aussi resta un instant surpris du spectacle avant de lancer un regard inquiet vers Luuse, toujours immobile.
« Vous...
-C'est un...un Naaru... »

Avant que Khazel puisse réagir, l'image de Luuse se brouilla sous les ombres qui s'accumulaient autour d'elle, et elle s'empara de son bâton avec un cri de rage pour se précipiter sur le groupe d'orcs corrompus et la démone, frappant au hasard, aveuglée par la colère. Lorsqu'elle reprit ses esprits en haletant, Khazel se tenait près d'elle, l'air d'avoir accompli un effort intense, et il lui murmura de nouveau « Luuse ? »
Sans lui accorder le moindre regard, elle se précipita vers la machine où était emprisonné le Naaru et la parcouru des mains, cherchant un bouton, un mécanisme, n'importe quoi susceptible d'arracher l'être à sa cage.
« Ne touchez à rien ! Cria Khazel d'une voix urgente
-Comment est ce qu'on arrête cette chose! Il faut le sortir de là! Il f... »

Le contact des bras de Khazel l'apaisa immédiatement, et elle lança un regard furieux aux cadavres des orcs par dessus son épaule, puis au Naaru qui n'avait pas bougé et semblait, comme tous ses semblables, perdu dans son propre univers.

« Luuse, mon amie...ne risquez pas votre vie pour...enfin pourquoi avec vous fait ça?, dit il y en la prenant par les épaules et pour l'éloigner un peu de lui afin de sonder son regard.
-Je...je n'en sais rien...je dois le libérer! Ca...ça ne vous fait pas mal à vous de le voir là?! »

D'un air impénétrable, il la regarda un instant puis murmura d'une voix douce :
« Vous ne savez rien d'eux, vous ne savez pas ce qu'ils vous demanderont en échange de leurs bienfaits, pourquoi êtes vous si soumises à eux, Luuse? Vous n'avez jamais essayé de libérer M'uru de ses chaîne...Vous les aimez parce qu'ils vous procurent la sensation de ne plus être en manque...n'échangez pas une addiction contre une autre...
-Vous dites ça parce que vous ne les aimez pas...je...ils étaient en train de drainer quelque chose de lui quand je suis arrivée...je suis tellement désolée d'avoir mis votre vie en danger...
-C'est votre propre vie que vous avez mise en danger, Luuse, C'est ça qui est grave, à mes yeux. »

Il la lâcha puis tourna un regard vaguement indécis vers le Naaru avant de poursuivre :
« Il ne faut pas rester ici, il y a sans doute encore des démons et des orcs dans cette bâtisse...venez. Quand nous en saurons plus sur le moyen, nous reviendrons le libérer. Nous ne savons rien de cette technologie. »

En silence, Luuse hocha la tête, l'air penaud et lança un regard de regret au Naaru qui n'avait pas bougé, serein et si calme qu'elle en perdait toute aggressivité.

En la regardant de nouveau, Khazel parla à nouveau d'une voix douce :
« Et puis...il a l'air d'aller bien. M'uru s'est décoloré suite aux traitements des magistères, à Lune d'Argent...celui là est encore clair et brillant...je...je suppose que ça doit vouloir dire qu'il est quand même en bonne santé. Après une pause de reflexion, il ajouta « Et si vous l'entendez pleurer, tant que nous sommes à Nagrand, nous reviendrons le rassurer.»

Luuse lança un regard surpris à Khazel. Ca ne lui ressemblait pas d'être si gentil envers les Naaru, même si elle comprenait que le seul but était de la rassurer, peut en importait le moyen. Elle esquissa un sourire qu'elle espéra convaincant et se dirigea vers la sortie de la salle en décochant un coup de pied dans la tête de la démone au passage. Khazel lui lança un regard réprobateur.
« Luuse...
-Je sais...mais ça fait du bien...un peu... »

L'épée rebondit plusieurs fois à terre sous la lancée rageuse, et Luuse regarda méchament ses doigts rougits et crevassés par l'exercice inhabituel. En silence, le maître d'armes ramassa la lame et la tendit à l'elfe dans ce qui semblait être un geste déjà répété maintes fois.

"Madame, si je puis me permettre...je suis fort honoré que vous ayez fait appel à moi, mais si les cours normaux des chevaliers ne vous suffisent pas pour apprendre à manier une arme, alors...
-Suffit, épargnez moi ces sottises, et montrez moi de nouveau! Je dois comprendre comment ça fonctionne, sinon je..."

Elle se tut un court un instant, plongée dans ses pensées puis arracha l'épée des mains de son maître qui grimaça de surprise, et se mit en garde en face d'elle.

Dans les yeux de son élève brillait une détermination féroce.

Assise depuis plusieurs minutes dans son fauteuil favori, Luuse regardait ses mains immaculées, songeuse. Elle fini par se rouler en boule, les bras enroulés et serrés contre elle, la tête reposant sur le dossier de bois finement ouvragé.
La faim grandissait en elle comme un animal indomptable et sauvage, et elle s'effrayait chaque jour davantage des pensées qui l'effleuraient lorsqu'elle croisait d'autres Sin'dorei bouffis de magie, mais elle avait tenu bon, il ne fallait pas que ses efforts soient gâchés par une stupide pulsion.
Dans un demi délire provoqué par le manque, elle repensa à tout ce qui s'était déroulé depuis la disparition de Finlas, comment le doute avait grandit en elle. Elle avait commencé par se faire horreur, puis des barrières mentales s'étaient élevées sans même qu'elle s'en aperçoive, et l'idée qui l'avait d'abord horrifiée avait pu apparaitre, claire et nette dans son esprit, vidée de toute émotion.

Cet enfant, elle n'en voulait plus.

Petit à petit, l'idée avait fait son chemin, jusqu'à devenir assez insupportable pour qu'elle ait envie de le hurler à la face de ceux qui lui demandaient avec un sourire faussement complice pour quand était la naissance. Elle avait retourné les solutions dans sa tête, refusant les méthodes trop barbares, ainsi que celles qui la forceraient à mettre une tierce personne au courant, médecin ou prêtre.
Puis la clé était apparue, si simple qu'elle s'étonnait de ne pas y avoir pensé plus tôt, elle vivait tous les jours avec.

Avec un effort de volonté évident, Luuse se réveilla de sa torpeur et se laissa tomber au bas du fauteuil, décrocha du dossier une pélerine sombre qu'elle enfila avant de tirer la capuche profonde sur ses yeux. De nombreuses fois elle s'était rendue là bas, elle savait que d'autres le faisaient aussi, certains pour assouvir des désirs inexprimables, d'autres par charité.
A la faveur de la nuit, elle sorti de la ville et longea le mur en direction des ruines, là où les déshérités avaient établi un semblant de vie. Lorsqu'un garde lui demanda ce qu'elle faisait là à une heure pareille, elle décrocha de sa ceinture une bourse rondelette qui changea discrètement de main. Le garde fit un pas en arrière avec un salut un peu trop ironique : "Désolé votre seigneurie, je ne vous avais pas reconnue".

Sans relever, Luuse continua son chemin vers les feux où se trainaient en geignant quelques pitoyables âmes en peine, les yeux révulsés, le corps marqué et comme prématurément vieilli, les cheveux en bataille.
L'un d'eux s'avisa de sa présence, et c'est finalement dans un silence de mort et sous le feu des regards avides et fiévreux que la prêtresse repoussa son capuchon lorsqu'elle fut arrivée assez près.
Un jeune elfe visiblement atteint du mal depuis peu se jeta sur elle comme un forcené et rebondit avec violence sur un bouclier invisible qui luit faiblement à l'endroit du choc avant de disparaitre de nouveau. Les autres se recroquevillèrent en marmonnant de plus belle, et un cercle s'élargit autour de Luuse, qui se mit à défaire calmement l'attache de sa pélerine avant de la plier avec soin et de la poser sur le sol.

"Je ne viens pas vous faire du mal, je viens vous offrir ce que vous voulez. Cependant...<son regard se durcit>...le prochain qui essaiera de m'attaquer n'aura pas le temps de le regretter, suis je bien claire ?"

Une vague lueur d'espoir brillant dans leurs yeux fous, quelques déshérités se mirent à approcher, observés par leurs compagnons, sans doute pas assez fous ou pas assez assoifés pour risquer leur vie sans garantie. L'un d'eux fit mine de poser la main sur le visage de la jeune elfe qui fronça les sourcils puis prit une profonde inspiration et se força à se détendre. L'elfe immonde ne la toucha pas, sa main inerte tout près de toucher sa peau, et il ouvrit grand les yeux et se mit à rire, l'air en extase. Les autres se groupèrent autour de Luuse qui disparut bientôt au milieu d'une masse grouillante.
Prise au milieu de la foule, elle avait la sensation qu'on lui retirait la vie par tous les pores de la peau. elle tituba quelques secondes puis tomba à genoux, pour finalement se laisser glisser vers le sol. Les mains la touchaient encore, certains déshérités ricanaient en festoyant, et prise d'une vague panique qui s'éteint rapidement sous l'effet de la lassitude, Luuse se demanda s'il ne serait pas plus simple d'en finir ainsi, de laisser aller doucement toute son energie à cette foule reconnaissante et grisée. Ses yeux s'égarèrent, la faiblesse extrême commençait à lui faire voir trouble, et c'est sur une image brouillée d'or que son regard se posa.

Après plusieurs minutes douloureuses pendant lesquelles rien ne bougea, Luuse fini par s'extirper en gémissant de la masse des déshérités qui étaient tombés sur elle pêle mêle. Elle repoussa un ou deux cadavres du bout du pied pour retrouver sa pélerine. Elle était souillée et froissée, mais après un instant de réflexion, elle décida de l'enfiler tout de même, et ses yeux se posèrent de nouveau sur le long cheveu doré reposant délicatement sur son épaule. Avec d'infinies précautions, elle l'attrappa et de ses doigts engourdis par l'épuisement le noua plusieurs fois de manière compliqué jusqu'a ce qu'il forme une coquette et délicate rosace qu'elle rangea dans son mouchoir de soie avant de l'empocher précieusement.

Soudain, comme prise d'une idée soudaine, elle porta une main à son ventre et ferma les yeux, l'air concentré. Son esprit erra un instant à la recherche de l'autre esprit, celui qu'elle avait senti si souvent en elle depuis le début de sa grossesse, mais elle ne perçut aucun écho. En souriant faiblement, elle laissa sa main retomber mollement et s'enveloppa étroitement dans son manteau.
Dire qu'elle avait failli céder sa vie à ces pouilleux ! Avec toute la rapidité dont elle était capable, elle rentra dans la ville et se dirigea vers la salle de M'uru. Ce qu'elle avait absorbé sur ces déchets permettait de survivre, mais en aucun cas elle ne pourrait se contenter de si peu après tant d'effort et une telle période de manque. Elle ne voulait pas songer à l'acte qu'elle avait commis, pas tout de suite. Pour l'heure, la vie lui semblait de nouveau dégagée et le chemin clair. Sans y penser, sa main effleura dans sa poche le mouchoir de soie.

La craie se cassa avec un bruit sec en plein milieu d'une rune complexe, et le juron que Luuse proféra était loin de refléter la bonne éducation que leur mère leur avait donnée à sa soeur et elle. Avec des manières serviles et abjectes, le petit démon lui en apporta une autre, et s'écarta d'un bond lorsque les doigts de sa maitresse raflèrent le bâtonnet à l'aveuglette, trop concentrée sur son travail.

Pris d'une frénésie démoniaque, il fit des cabrioles tout autour du cercle d'invocation sans cesser de chanter une infernale chanson incompréhensible qui semblait manifester sa joie obscène, miroir des remous qui agitaient l'âme de sa démoniste.
Luuse se redressa et fit lentement le tour de son oeuvre en marmonnant tout bas.

« Le Haut Soleil à l'Est, signe de l'âme, la Basse Lune à l'Ouest, signe de coeur, le Feu au Nord...oui bien sûr, il est le feu..., le Vent au Sud qui l'attise... »

D'un geste machinal, rendu tremblant par l'excitation et l'épuisement, elle épaissi le gribouillis qui représentait le feu avec une application d'écolière. Son geste s'attarda sur une rune tarabiscotée, et son regard se porta vers le centre du cercle, où demeurait tout juste la place d'écrire un nom, entre les horribles gribouillis démoniaques qui semblaient se tortiller lorsqu'on essayait de les lire.

D'un geste, elle mis fin aux gesticulations du démonet qui s'arrêta en pleine course, saisi de crainte, puis s'avança vers le centre où elle s'agenouilla avec d'infinies précautions pour ne rien effacer. Après s'être accordé un instant pour reprendre son souffle, rendu court par l'émotion, et calmer les battements de son coeur, dont la pulsation affolée faisait battre jusqu'à son bras, au risque de gâcher la perfection du glyphe, elle appuya fermement la craie contre le sol et écrivit les six lettres en langue elfique.

Et rien ne se passa.

Le souffle de Luuse, coupé par l'émotion au moment ultime, revint, régulier et calme, et elle se releva très lentement, les jambes mues par un reflexe de vie, mais le regard vide et mort. La craie s'échappa de ses doigts engourdis par la douleur qui la submergeait tout entière, et roula sur le plancher dans un tonnerre fracassant jusqu'aux pieds du diablotin resté en bordure du cercle.

« Père...Vous aviez tort...la démonologie ne permet pas de braver la mort... »

Lasse, elle s'approcha de l'unique lit de la chambre et tira la tenture de soie pour admirer le petit visage chiffonné délicatement posé sur un oreiller de percale. Elle n'osa pas le toucher mais l'admira longuement, et son visage repris des couleurs, alors qu'un feu nouveau brûlait dans son regard. Ses lèvres formèrent les paroles sans les prononcer de peur de réveiller l'enfant.

«La démonologie peut être pas, mais moi...je trouverai... »